« Exigeons la transparence sur la vente des Chantiers de l’Atlantique»

FIGAROVOX/TRIBUNE - La sénatrice Sophie Primas revient sur le rachat des Chantiers de l’Atlantique par le groupe italien Fincantieri. Elle appelle le gouvernement à accepter un débat démocratique sur cette opération délicate.

Par Sophie Primas

Publié le 24/02/2020 à 15:32, mis à jour le 24/02/2020 à 15:54

« Les Chantiers de l’Atlantique ont acquis un savoir-faire presque unique au monde dans la construction de grands paquebots.» LOIC VENANCE/AFP

Sénatrice (LR) des Yvelines, Sophie Primas préside la commission des Affaires économiques du Sénat. Elle est par ailleurs Rapporteure des travaux relatifs au rachat des Chantiers de l’Atlantique par Fincantieri.


Le 20 janvier dernier, en amont du sommet Choose France, l’Élysée se félicitait de la commande de deux paquebots décrochés par les Chantiers de l’Atlantique pour près de 2 milliards d’euros. L’exécutif se gardait toutefois bien de rappeler qu’il entend céder le contrôle de l’entreprise historique française à son concurrent italien Fincantieri avant la fin de l’année 2020.

Ainsi, l’histoire se répète : après la vente de la branche énergie d’Alstom à General Electric, et le projet de privatisation d’Aéroports de Paris, c’est le sort d’un autre leader industriel français qui se décide à l’ombre des cabinets ministériels, loin du regard des Français et à l’abri du débat public.

Le Gouvernement néglige la prudence qui s’impose dans le choix du repreneur, mais aussi les exigences élémentaires de transparence et de responsabilité démocratique.

Héritiers de la construction navale civile française, les Chantiers de l’Atlantique ont acquis un savoir-faire presque unique au monde dans la construction de grands paquebots. Leur activité industrielle, qui irrigue toute la région des Pays de la Loire, génère près de 9 000 emplois directs et indirects. Leur forme aux dimensions inégalées en Europe fait aussi des Chantiers un acteur incontournable de la construction de nos porte-avions, et le partenaire de Naval Group dans la fabrication de navires militaires.

La nationalisation temporaire des Chantiers, décidée il y a trois ans, a apporté une stabilité bienvenue à cette entreprise qui a connu trois propriétaires entre 2006 et 2017. L’empressement du Gouvernement à revendre une nouvelle fois ce site stratégique pour la puissance industrielle et maritime française le conduit à négliger non seulement la prudence qui s’impose dans le choix du repreneur, mais aussi les exigences élémentaires de transparence et de responsabilité démocratique.

Alors que l’acquéreur retenu, le groupe italien Fincantieri, s’engage résolument dans un partenariat approfondi avec le géant public chinois de la construction, la commission des affaires économiques du Sénat s’interroge sur la pertinence des choix de l’exécutif. En allant à la rencontre du constructeur français, de ses salariés et de ses partenaires locaux, nous n’avons pu que constater l’absence d’adhésion au projet de cession.

Plus alarmant encore : malgré les demandes répétées de la représentation nationale, le Ministre refuse toujours de lui communiquer les conditions précises de l’accord de rachat. À ce jour, pas même les actionnaires minoritaires des Chantiers n’ont eu connaissance de son contenu exhaustif.

L’impuissance de l’État à réagir face à General Electric, qui a renié ses engagements après la reprise d’Alstom, doit servir de leçon.

Il est pourtant essentiel à la protection des intérêts de la Nation que des garde-fous solides soient prévus en cas de rachat. Il faut assurer l’intégrité du site français, le maintien des emplois, de l’écosystème local, et surtout protéger le savoir-faire unique des Chantiers d’un transfert vers ses concurrents. L’impuissance de l’État à réagir face à General Electric, qui a renié ses engagements après la reprise d’Alstom, doit servir de leçon.

Les conditions de cession des parts de l’État doivent être fixées en pleine transparence. L’année passée, c’est grâce à la mobilisation des sénateurs de tous bords que le Gouvernement avait finalement communiqué le cahier des charges de la privatisation d’Aéroports de Paris. Depuis, nous avons pu constater le résultat de tels passages en force gouvernementaux, de décisions stratégiques prises à huis clos, en déconnection des forces vives des territoires. La même erreur ne saurait être répétée avec les Chantiers de l’Atlantique.

Le Sénat entend faire la lumière sur l’opération de reprise des Chantiers de l’Atlantique.

L’impératif de transparence porte aussi sur la valorisation des parts de l’État, patrimoine de tous les Français. Elle doit tenir compte des excellentes performances récentes des Chantiers, dont le carnet de commandes est plein. La diversification de l’entreprise vers le segment porteur des énergies marines renouvelables, et son investissement considérable dans la R&D, en font un partenaire attractif pour d’autres acteurs industriels. Dès lors, le prix de cession doit être évalué avec prudence et exactitude.

La conclusion de l’opération est désormais suspendue à la décision de la Commission européenne, qui examine le rachat au regard du droit européen de la concurrence. Quelle qu’en soit l’issue, le Sénat entend faire la lumière sur cette opération, sans exclure de se saisir des pouvoirs spéciaux ouverts par la loi PACTE si le gouvernement ignorait l’impératif de transparence démocratique qui s’impose à lui.